Publié : 6 juin 2022
Par souci de simplicité, j’emploie le terme «mini-carottes» tout au long de cet article pour faire référence aux carottes considérées comme “imparfaites” qui sont sculptées en bâtonnets arrondis et vendues prêtes à consommer.
Tout a commencé un mercredi matin. Assise sur le canapé, je fais le tour de mes emails tout en dégustant des mini-carottes en guise de petit-déjeuner. C’était la cinquième fois cette semaine que l’envie m’avait prise. Pour tout vous dire, manger sainement été devenu tout un défi en ce mois plein de déplacements. D’où mon penchant grandissant pour les mini-carottes. C’était le snack idéal pour incorporer plus de légumes dans mon alimentation sans trop de tracas. « Ces petites carottes sucrées et croquantes sont sérieusement addictives», me suis-je dite tout en oscultant le sac à moitié vide. “On pourrait presque y devenir accro”. Sans trop réfléchir, je tape “addiction aux mini-carottes” dans mon navigateur Web. “Mais voyons…quelle drôle d’idée! Attends une minute…ça existe vraiment?!”
J’étais ébahie par les résultats affichés sur mon écran d’ordinateur. Une de mes premières découvertes fut le témoignage d’une personne qui avait lutté avec cette étrange dépendance aux carottes. Son addiction visait particulièrement les mini-carottes (à savoir que la plupart des “baby carrots” qu’on retrouve dans les supermarchés sont tout simplement des carottes “imparfaites” qui ont été taillées et lissées à l’aide d’une machine).
“Il y a quelques années, alors que j’essayais d’arrêter de fumer, je suis devenu accro aux carottes… oui aux carottes1», a écrit un utilisateur sur le forum Reddit en 2015. “Pas les grosses, mais les petites carottes que vous pouvez acheter dans des sacs de 2 livres. Je mangeais environ 5 livres ou plus par semaine.”
L’utilisateur poursuit: “j’ai pris du poids et je suis devenu orange. Je ne plaisante pas (…) J’ai abandonné les carottes, mais il m’a fallu 4 mois de sevrage sérieux. J’avais des sueurs et j’étais tellement de mauvaise humeur.”
De nombreux articles scientifiques, publiés dans les années 90, soutiennent des témoignages comme celui-ci. Ce phénomène peu connu a même été couvert par le journal britannique The Independent avec un article intitulé « Les carottes ‘aussi addictives que la cigarette’ ». Ce dernier se réfère à une étude publiée en 1992 dans le British Journal of Addiction détaillant l’expérience de trois fumeurs ayant développés une dépendance aux carottes.
Dans cette étude de 1992, un homme et deux femmes décrivent leur dépendance aux carottes comme étant très similaire à celle liée au tabagisme. Plus précisément, les femmes notent cette dépendance comme étant plus forte que leur besoin de fumer, tandis que l’homme l’évalue comme légèrement plus faible.
Dans une autre étude publiée en 1996 dans le Australian & New Zealand Journal of Psychiatry, Dr Robert Kaplan rapporte le cas d’une fumeuse âgée de 49 ans qui développe une consommation compulsive de carottes suite au stress engendré par un mariage troublé. Étonnamment, la patiente réussi à se défaire de sa dépendance aux carottes et au tabagisme suite à une opération.
Avec tous ces témoignages, on ne peut que méditer sur les causes possibles de cette pathologie si peu connue. La consommation de carottes pourrait-elle agir comme un substitut comportemental au tabagisme pour les patients qui tentent d’arrêter de fumer ? Ou encore, la dépendance proviendrait-elle du bêta-carotène présent dans les carottes? Ce ne sont là que quelques-unes des questions que se sont posées les chercheurs.
Il existe un tas de légumes contenant ce pigment végétal que nous appelons le bêta-carotène. Outre les carottes, le bêta-carotène se trouve également dans la courge musquée, les patates douces, les légumes-feuilles foncés et les poivrons rouges. Une fois ingéré, le bêta-carotène est transformé en vitamine A par notre organisme avant d’être stocké dans le foie. Il convient de noter que le bêta-carotène est liposoluble, ce qui signifie qu’il est plus facilement absorbé par notre corps lorsqu’il est associé à un peu de graisse ou d’huile. Selon la diététicienne Leslie Beck, « il suffit de 3 à 5 g de matières grasses par repas (environ une cuillère à thé) pour améliorer l’absorption du bêta-carotène2 ». La cuisson augmente également la biodisponibilité du bêta-carotène.
Bien que la science exacte derrière la consommation compulsive de carottes reste encore peu connue, nous savons pertinemment qu’une consommation excessive peut mener à un phénomène appelé caroténémie. Décrite pour la première fois en 1919 par Hess et Meyers, la caroténémie se caractérise principalement par une augmentation des taux de bêta-carotène dans le sang et par une coloration jaune orangé de la peau. Question: Aussi orange que les oompa loompas dans la chocolaterie de Willy Wonka? Réponse: Dieu merci, certainement pas! Mais assez perceptible pour faire froncer des sourcils. Le changement de couleur s’observe particulièrement au niveau des paumes des mains et des plantes des pieds, où la peau est plus épaisse.
Le cas récent d’une femme chinoise âgée de 56 ans nous amène à nous questionner sur un lien possible entre la caroténémie et la carence en fer. La patiente “mangeait 4 carottes crues et 20 bonbons à la menthe par jour depuis 3 mois3 » et présentait des signes de fatigue générale. Or, après s’être faite administrer de l’oxyde de fer par ses médecins, “son addiction pour les carottes et les bonbons à la menthe a disparu en 3 jours”. Des cas de caroténémie ont également été signalés chez des patients diagnostiqués avec une anorexie, ainsi que chez des patients porteurs d’un syndrome de Down.
Comme toute addiction, celle aux carottes présente son lot de défis à surmonter. La période de sevrage nécessite beaucoup de patience et d’autodiscipline face aux symptômes éprouvants: nervosité, irritabilité, fringales soudaines, et même insomnie.
Le cas du Londonien Basil Brown, datant de 1974, illustre parfaitement les dangers d’une dépendance aux carottes lorsqu’elle demeure non-traitée. Avant sa mort, le passionné de cuisine de 48 ans buvait près d’un gallon de jus de carotte chaque jour. Selon les archives du New York Times, “Dr. David Haler, le pathologiste ayant pratiqué l’autopsie, a déclaré que les effets de cet apport gargantuesque en vitamine A des carottes et des comprimés était indiscernable de l’intoxication alcoolique4», produisant des résultats similaires à la cirrhose du foie.
Bien évidemment, comme toute chose dans la vie, ce n’est qu’une question de modération. Ainsi, qu’appelle-t-on une consommation modérée de carottes? Selon de nombreux professionnels de la santé, vous pouvez combler près de la moitié de l’apport quotidien recommandé en vitamine A avec une demi-tasse de carottes. Il existe aussi d’autres sources intéressantes de vitamine A telles que les œufs, les poissons gras, le fromage et le foie.
La vitamine A possède de nombreux bienfaits pour les yeux et le système immunitaire. Elle protège également notre peau contre les dommages induits par les UV tout en augmentant son élasticité. Une vitamine indispensable pour l’été !
Sources
Al Nasser, Yasser; Jamal, Zohaib and Albugeaey, Mohammed. (2022). “Carotenemia”. StatPearls Publishing. Retrieved on May 31th 2022.
1Bd42. (2015). “I was addicted to carrots!”. Reddit. Retrieved on May 31th 2022.
2 Beck, Leslie. (2010).“Are carrots bad for you?”. The Globe and Mail. Retrieved on May 31th 2022.
Černý, Luděk and Černý, Karel. (1992). “Can carrots be addictive? An extraordinary form of drug dependence”. British Journal of Addiction. 87(8):1195-1197. Retrieved on June 1st, 2022.
Godman, Heidi. (2021). “How many fruits and vegetables do we really need?”. Harvard Health Publishing – Harvard Medical School. Retrieved on May 31th 2022.
Health Canada. (2009). “White Blush on Cocktail Carrots”. Government of Canada. Retrieved on May 31th 2022.
Jones, Judy. (1992). “Carrots ‘as addictive as cigarette smoking’”. The Independent. Retrieved on May 31th 2022.
Kaplan Robert. (1996).“Carrot addiction”. Aust N Z J Psychiatry. Oct; 30(5):698-700.Retrieved on May 31th 2022.
Laderer, Ashley. (2021). “9 benefits of carrots: How they can boost your immune system, help with weight loss, and more”. Insider. Retrieved on May 31th 2022.
3 Nakagami, Futoshi; Nozato, Yoichi; Yamamoto, Koichi and Rakugi, Hiromi. (2021). “Carotenemia induced by iron deficiency”. BMJ Case Reports. Retrieved on May 31th 2022.
Sherman, P., Leslie, K., Goldberg, E., Rybczynski, J., & St. Louis, P. (1994). “Hypercarotenemia and transaminitis in female adolescents with eating disorders: A prospective, controlled study”. Journal of Adolescent Health. 15(3), 205–209. Retrieved on June 1st, 2022.
Sidhu, Inder. (2010). “Profiles in Doing Both: Mike Yurosek, Father of the ‘Baby Carrot’”. Forbes. Retrieved on May 31th 2022.
Storm, W. (1990). “Hypercarotenaemia in children with Down’s syndrome”. JIDR. 34(3): 283-286. Retrieved on June 1st, 2022.
4 The New York Times. (1974). “Carrot‐Juice Addiction Cited in Briton’s Death”. Retrieved on June 1st, 2022.