Le camphre: cette substance énigmatique utilisée dans les rituels funéraires, les desserts et les produits pharmaceutiques

Publié : 1 septembre 2022

En mars 1840, John William Draper devient la première personne à photographier avec succès la lune en utilisant un procédé photographique connu sous le nom de daguerréotype. Ce médecin et chimiste américain d’origine anglaise était l’un des expérimentateurs les plus remarquables de son époque.

L’amour de Draper pour les sciences expérimentales l’amène éventuellement à rédiger une thèse sur une substance mystérieuse dans le cadre de son doctorat en médecine à l’Université de Pennsylvanie. Le titre de sa thèse ? “La cristallisation du camphre sous l’influence de la lumière”.

John William Draper (circa 1879)

Dans son livre de 1878 intitulé “Scientific Memoirs, Being Experimental Contributions to a Knowledge of Radiant Energy”, Draper écrit :

“Au début de ma vie, j’avais ressenti un fort désir de me consacrer à l’étude expérimentale de la nature; et, ayant vu par hasard un verre contenant du camphre, dont des portions avaient été amenées à se condenser en très beaux cristaux du côté éclairé, j’étais amené à lire tout ce que j’ai pu obtenir sur les influences chimiques et mécaniques de la lumière, de l’adhérence et de l’attraction capillaire.”

Des années plus tard, en 1903, un chimiste finlandais nommé Gustaf Komppa réussit à synthétiser le camphre pour la première fois.

Gustaf Komppa (1937)

C’est quoi le camphre?

Le camphre est un produit chimique très particulier qui est utilisé dans de nombreuses industries. Toutefois, il demeure quasiment inconnu du grand public.

D’après le dictionnaire Merriam-Webster, le camphre est une substance cristalline blanche “obtenue à partir du bois et de l’écorce du camphrier et utilisée comme liniment et analgésique topique doux, plastifiant et insectifuge”.

Originaire de pays asiatiques tels que la Chine, l’Inde et le Japon, le camphrier peut vivre jusqu’à 2 000 ans et se distingue facilement par ses “feuilles vertes foncées à jaunâtres et ses petites fleurs blanches entourées de petites baies violettes”.

Initialement un “produit de luxe utilisé à des fins religieuses et médicinales”, le camphre est devenu omniprésent “avec l’invention du plastique celluloïd, le premier plastique synthétique au monde” dans les années 1800.

Selon Love et. al. (2004), de nos jours, le camphre est produit synthétiquement à partir d’huile de térébenthine qui est obtenue de la résine de certains pins. Se présentant généralement sous la forme d’une masse solide blanche, le camphre a une odeur vive et une saveur amère.

Usages ancestraux du camphre : de l’Égypte antique à la peste noire

Au fil des ans, les usages du camphre ont été nombreux. Utilisée dans la création de parfums au cours de l’Égypte antique, l’huile de camphre était également l’un des principaux ingrédients utilisés par les anciens Égyptiens pour momifier les pharaons et les membres de la noblesse. La médecine traditionnelle l’utilisait également pour réduire la fièvre, apaiser les gencives et calmer les crises d’épilepsie.

L’Europe du XIVe siècle sut également profiter des bienfaits du camphre lors des efforts de fumigation contre la peste noire. Cette épidémie dévastatrice a été “l’une des plus grandes catastrophes de maladies infectieuses de l’histoire de l’humanité (…) qui aurait coûté la vie à 60 % de la population d’Eurasie occidentale (…)”.

Chen et. al. (2013) rappellent également l’utilisation du camphre comme matériau de torche par les Japonais, et « comme stimulant circulatoire et analeptique » par les Chinois dans le traitement des insuffisances respiratoires.

D’après la médecine traditionnelle perse, le camphre aurait également des propriétés anti-aphrodisiaques.

Utilisations modernes du camphre : pommade chauffante, cosmétiques et spray anti-insectes

Avec un large éventail de propriétés biologiques, le camphre a de nombreuses applications pharmaceutiques allant du décongestionnant nasal à l’analgésique topique pour traiter les douleurs musculaires mineures. Vous avez peut-être déjà entendu parlé de Vicks VapoRub, Vicks inhaler ou encore le Tiger balm. Ces derniers contiennent tous du camphre. En plus de soulager la douleur musculaire, le camphre a également la capacité d’améliorer l’absorption des produits appliqués sur la peau.

Une autre caractéristique remarquable du camphre est sa propriété insecticide, permettant d’éloigner les moustiques de façon naturelle. D’ailleurs, il n’est pas anodin de trouver du camphre dans les placards comme alternative aux boules de naphtaline pour protéger les vêtements des insectes.

Le camphre est également présent dans une variété de soins pour la peau et les cheveux, y compris les produits de bain, les shampooings et les baumes à lèvres. Aux propriétés antimicrobiennes et au parfum rafraîchissant, le camphre permet de procurer une sensation apaisante à la peau. Il est aussi souvent ajouté aux mélanges d’huiles de massage. El-Shazly et. al. a d’ailleurs publié une étude qualitative en 2004 révélant des résultats positifs d’un traitement contre la rosacée, combinant de l’huile de camphre diluée et un antibiotique appelé « métronidazole ».

Les propriétés antivirales du camphre en font également un désinfectant efficace couramment ajouté dans les produits ménagers tels que les détergents, les savons et les nettoyants pour sols. En Inde, il est couramment brûlé dans les maisons à des fins de purification de l’air.

Savais-tu? Le camphre est utilisé dans la production de nombreuses peintures et revêtements, et joue également un rôle clé dans la stabilisation des pièces pyrotechniques à la poudre sans fumée.

Quant à ses effets anticancéreux, le camphre fait toujours l’objet de nombreuses études scientifiques utilisant des modèles in vitro et animaux (Moayedi et.al. (2018), Schröder et. al. (2022), Singh et. al. (2022), etc.)

Cuisiner avec du camphre comestible

Le camphre comestible est une partie importante de la culture culinaire indienne. Dans le sud de l’Inde, il est souvent ajouté à des desserts tels que le boondi laddu (petites boules sucrées à base de farine, de ghee, de sucre et aromatisées avec du clou de girofle, du cardamome et du camphre) et le pongal sucré (préparation à base de riz, de lentilles et de lait de coco). Ainsi, l’ajout de camphre aide à rehausser les saveurs et la douceur de ces desserts traditionnels.

Cette molécule polyvalente est également appréciée par l’industrie alimentaire, qui l’utilise souvent comme agent aromatisant et conservateur dans les produits de confiserie. Les produits sont variés, allant des sauces et condiments jusqu’aux glaces, bonbons et boissons (alcoolisées et non alcoolisées). Le camphre fait aussi son apparition dans les plats préparés qui contiennent des herbes telles que le basilic, la coriandre, le romarin et/ou la sauge.

En outre, des sources de la dynastie Tang en Chine ont attesté de l’existence d’un dessert glacé à base de lait de buffle d’eau et de camphre.

Mésusage du camphre : du réconfort à l’intoxication

La toxicité du camphre a été documentée au fil des ans, avec des doses mortelles chez les adultes comprises entre 50 et 500 mg/kg.

Selon Love et. al (2004), “on retrouve de nombreux cas de toxicité liés au camphre au sein de la population pédiatrique dans la littérature médicale du 19ième et 20ième siècles.” Par conséquent, depuis 1983, la limite de camphre autorisée dans les produits médicaux a été établie par la Food and Drug Administration (FDA) des États-Unis à 11 % après une vague d’empoisonnements graves chez les enfants.

Khine et. al. (2009) ont également signalés des convulsions induites par le camphre chez de jeunes enfants ayant ingéré, inhalé ou frotté la substance sur leur peau à des fins spirituelles ou de remèdes contre le rhume.

Ainsi, les enfants et les femmes enceintes doivent à tout prix éviter les médicaments contenant du camphre. Des symptômes physiques et neurologiques graves peuvent apparaître “dans les 15 minutes suivant l’ingestion de plus de 30 mg/kg”, selon le Royal Children’s Hospital de Melbourne. Nausées, convulsions et confusion sont parmi les symptômes les plus communs.

D’après Santos et Cabot (2015), un certain nombre de produits vendus dans les épiceries ethniques ne précisent pas la quantité de camphre qu’ils contiennent. “Malgré les réglementations, des cubes de camphre pur et des produits contenant jusqu’à 20 % de camphre sont massivement importés aux États-Unis depuis des pays comme l’Inde et la Chine”, expliquent-elles. “Ils sont commercialisés illégalement aux États-Unis pour lutter contre les rhumes, les affections cutanées, les maux de tête, les douleurs abdominales et la grossesse, ainsi que pour être utilisés dans des rituels spirituels”.

La sensibilisation du public à la toxicité du camphre ainsi que de plus amples recherches concernant les mécanismes de la toxicité sont nécessaires. Par ailleurs, des scientifiques précisent que des efforts devraient être déployés “pour limiter la disponibilité illégale de ces produits”.

La flamme de camphre et les textes religieux

Connu sous le nom de “kapur” en hindi, le camphre est un élément essentiel dans les cérémonies religieuses hindoues. Une pastille de camphre est généralement allumée sur un support appelé “karpur dāni”. Dans son livre “The Camphor Flame”, l’auteur Christopher John Fuller détaille la “puja” (acte d’adoration) coutumière des fidèles indiens dans les temples hindous :

“Fréquemment, dans le temple de Minakshi et ailleurs, la ‘puja’ n’est rien de plus que la présentation d’une lampe à camphre avec un plantain comme offrande de nourriture. Les hindous appellent généralement la lampe de service – et en particulier la flamme du camphre – ‘arati’, un terme largement utilisé dans toute l’Inde comme synonyme de ‘puja’. “ (The Camphor Flame, p.68)

Le rituel se termine généralement par le prêtre qui présente la flamme de camphre aux fidèles qui, à leur tour, se marquent le front avec la cendre blanche ou la poudre rouge. Il arrive parfois aussi qu’ils avalent un peu de cendre.

Des discussions concernant le camphre font également surface dans le monde du monothéisme. Si vous avez déjà lu le Coran ou la Bible, vous avez peut-être remarqué le mot “kopher” ou “kāfūr” ( كَافُور en arabe).

Dans le Coran, livre sacré des musulmans, la sourate Al-Insan mentionne une boisson contenant du camphre dont jouiront les gens de Jannat (du paradis). Le camphre céleste, différent du camphre de la Terre, est dépourvu d’effets secondaires.

Les vertueux boiront d’une coupe dont le mélange sera de camphre

Coran (76:5)

Ce verset a suscité de nombreuses discussions autour de la traduction du mot “kafur”. Certains commentateurs pensent que ceci fait référence au camphre, tandis que d’autres pensent que la boisson céleste mentionnée aura tout simplement des propriétés semblables à celles du camphre (soit fraîcheur et luminosité). Une autre hypothèse évoquée est celle d’une “source de vin” appelée kafur au paradis. Quant au scientifique Dr M.I.H. Farooqi, il spécule que le mot “kafur” fait référence au “henné” ou Lawsonia inermis, une plante dont on extrait un pigment naturel pour les cheveux et la peau.

Du côté de la chrétienté, des traductions récentes du “Chant de Salomon” identifient le mot hébreu “kopher” comme “henné” et non comme camphre.

Tes rameaux forment un verger de grenadiers aux fruits exquis, henné et nard l’embaument,

Chant de Salomon (Cantique des Cantiques) (4:13)

Le camphre est une substance aromatique omniprésente dans la culture arabe, aux côtés du musc, du bois d’aloès (alias ‘ud) et du safran. Le camphre est encore couramment utilisé dans les parfumeries arabes, ainsi qu’au cours des rituels funéraires islamiques pour laver et parfumer le corps du défunt.

Laisser un commentaire

En savoir plus sur

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Continue reading

Retour en haut